L’autogestion et la CFDT

La création de la CFDT
La CFDT est l’émanation de la CFTC qui se réfèrait lors de sa fondation en 1919 à la doctrine sociale de l’Église (DSE). A l’intérieure de la CFTC, une minorité de gauche, de la tendance « reconstruction », a animé sous la conduite d’Eugène Descamps un débat interne en faveur de la « déconfessionnalisation ». Cette tendance est devenue majoritaire en 1961. La rupture interne se produit en 1964 au congrès extraordinaire des 6 et 7 novembre qui se tient au Palais des Sports et transforme la CFTC en CFDT. Une minorité des effectifs refonde une « CFTC maintenue » qui existe encore.
La CFDT déclare désormais placer son action dans le cadre de la lutte des classes. En quête de sa propre identité (notamment vis-à-vis de la CGT), la CFDT se tourne vers le mot d’ordre de l’autogestion qui s’ajoute à celui de planification démocratique qu’elle a adopté depuis la fin des années 50 au sein de la CFTC. L’idée d’autogestion est inspirée de diverses expériences menées dans différents pays : Espagne républicaine, Yougoslavie (1950), l’Algérie au début de son indépendance, Chili d’Allende (1970), France avec le Centre Universitaire de Vincennes futur Paris 8.

À partir de 1968, l’autogestion devient le fondement de la vision du monde de la CFDT, de son projet de société. Jusqu’au milieu des années 1970, le discours de la CFDT est radical. Il emprunte au marxisme et aux courants les plus durs à l’égard du capitalisme. Le socialisme autogestionnaire est vu comme une alternative au capitalisme, mais aussi au socialisme d’État. La CFDT soutient Charles Piaget et les ouvriers de Lip en gréve. Elle est très influencée par le PSU de Michel Rocard. C’est dans ce courant de pensée anticapitaliste et autogestionnaire que je me suis engagé, Ce courant de pensée existe toujours, dispersé sous de multiples formes, bien qu’aucune organisation ne le représente formellement.

Ma rencontre avec la CFDT s’est faite à la brigade départementale d’Indre et Loire avec deux collègues Jean-Marie Franck et Gérard Fayet. La CGT pesait d’un poids important sur la brigade en raison de la forte personnalité et l’ancienneté de ses représentants. Ces derniers étaient des brigadiers anciens, bien installés avec les meilleurs rapports avec la Direction départementale. Nous étions plus jeunes, nous souhaitions une plus grande dynamique pour notre service et nous voulions moins de passe-droits pour certains. Mais pour avoir une section syndicale il nous fallait être représentés par un syndicat départemental. Nous sommes donc naturellement aller aider à construire le syndicat départemental de la CFDT. Cet engagement m’a permis de découvrir l’autogestion.

Après cet épisode tourangeau mon engagement s’est poursuivi à Orléans au CTA jusqu’à la mi 77. C’est ainsi que j’ai participé en première ligne à la gréve de 1974. Pendant le mois d’octobre j’ai été le porte parole de la CFDT dans toutes les manifestations publiques et audiences syndicales.

Le “Recentrage” à partir de 1977
La dynamique se lutte à gauche ouverte depuis 1968 ainsi que la référence à l’autogestion sont remises en cause. Les contestataires de l’ordre établi n’ont plus le vent en poupe et la CFDT entame sa dérive vers la droite et le compromis social. Je n’y ai plus ma place. Je conteste ouvertement ce nouveau positionnement et je donne ma démission. Un représentant viendra tout de même me demander de rendre ma carte comme si cela avait une signification en dehors de la bureaucratie. On était vraiment loin de l’autogestion démocratique.
En 1978, la CFDT officialise son recentrage sous couvert de resyndicalisation. Cela va l’amener progressivement à tenir une position systématiquement conciliante dans ses rapports avec le patronat et le gouvernement. Pour les responsables confédéraux, il s’agissait de mettre fin à la période de débat et d’expérimentation sociale qui marquait la CFDT depuis plus d’une dizaine d’années, et va exacerber les tensions avec les collectifs militants qui étaient les principaux représentants de ces pratiques. La rupture de l’Union de la gauche en 1977 et l’échec de celle-ci aux élections législatives de 1978 accélère le processus et conduit la centrale d’Edmond Maire Secrétaire Général à un changement de stratégie, elle s’éloigne de la CGT et entreprend un mouvement qui consiste notamment à prendre de la distance face aux partis politiques. Elle appelle pour la dernière fois à voter socialiste à la présidentielle de 1981. La CFDT prend également ses distances à l’égard de l’autogestion ; des théoriciens comme Pierre Rosanvallon (conseiller économique de la CFDT puis conseiller politique d’Edmond Maire) théorisent même une nouvelle vision de l’autogestion comme un concept-relais vers une certaine forme de libéralisme.