1983-1988 Gennevilliers
Après avoir travaillé plusieurs mois avec le Ceriam, j’ai accepté mon détachement à Gennevilliers. Devoir travailler pour une municipalité communisme ne me gênait pas en raison de la réputation et de la personnalité du maire Lucien Lanternier (biographie). Lucien était un maire rénovateur critique de la direction du PC, en particulier depuis 1981. Il dénonçait la gouvernance de l’URSS et écrivait des lettres de désaccord à Brejnev. Il savait déléguer sans contrôle et ne réclamait des personnes qui l’entouraient que de la loyauté et non de la soumission. On sentait chez cet homme qui avait été résistant et s’était battu dans les maquis du Vercors avec la compagnie FTP 93/27 une grande humanité. Ce fut un plaisir de le servir. Ma mission était de mener des actions en priorité à Gennevilliers, mais aussi en lien avec les collectivités locales du nord ouest parisien, pour créer les conditions sociales, économiques et culturelles du développement du câble et des Nouvelles Technologies de l’Informatique et des Télécommunications (NTIC).
De octobre 1984 à juin 1988, outre mon activité de chef de projet en informatique interne à la mairie, je dirige, avec Gilles Vigoureux, chef de cabinet du maire, les actions d’appropriation des NTIC sur tout le territoire de la ville dans plusieurs secteurs (La télématique dans la cité). La création d’un centre X2000 à Gennevilliers ou l’informatique dans les écoles du plan Fabius Informatique pour tous (IPT) sans faire partie de mon travail porteront ma marque. On peut aussi se souvenir d’une expérience de messagerie sur Minitel pour l’office HLM en coopération avec la mise en place de TUC. Les travaux d’utilité collective (TUC) étaient un contrat aidé créé en en 1984 sous le gouvernement de Laurent Fabius. Les jeunes recrutés était formés par le centre X2000 et assistaient les gardiens d’immeuble au maniement de l’outil informatique. Enfin celle que je trouve l’expérience la meilleure a été la formation, avec mon soutien et à laquelle Laurence a apporté toute son expérience. En quelques mois des jeunes en rupture scolaire ont trouvé leur voie en devenant composeurs d’écrans vidéotex sur micro-ordinateur ou animateur de services. A la fin quasiment tous auront du travail, 3 CDI et 9 CDD sur 15 stagiaires. Pendant leur formation ils auront même remporté le 1er prix dans un concours national pour les services Vidéotex avec Animatel service pour le soin animal avec horoscope chinois pour animaux. Le jury était présidé par Roland Moreno, l’inventeur de la carte à mémoire. L’idée générale de cette formation était que si une économie numérique se développait il devait y avoir de la place pour ces jeunes de faible niveau scolaire. La formation comportait une remise à niveau en français et en mathématique. Depuis rien de tel n’a existé.
A la mairie, je développe en interne les projets télématique et micro-informatique, mise en place d’un réseau Ethernet et d’un serveur de messagerie par Minitel. Pour mener à bien ces missions je m’appuie en externe sur la Maison des Jeunes des Grésillons et sur l’organisme de formation AGIPS. En interne, j’obtiens un emploi de secrétaire que je transforme à mi-temps en assistante de formation. En trois ans grâce à la dynamique du plan câble et à mon travail intense, Gennevilliers passera sur le plan économique d’une ville dont l’activité principale était le secondaire à une ville prête pour le XXIème siècle et ses emplois de service du tertiaire..
Dans le même temps je reste engagé au côté du Ceriam dans le cadre du Plan Câble.
Le maire de Gennevilliers me laisse, sous le contrôle de son chef de cabinet, les coudées franches. . En même temps que ma mission à la mairie, je continue au côté du Ceriam, de participer à plusieurs autres opérations allant dans le sens de la consolidation du projet de Gennevilliers :
– Le jumelage avec le Québec
– Étude sur une télévision locale à la Guadeloupe
– Projet Star, étude du réseau Transpac à la Réunion
– Conférence Internationale pour l’Identité Culturelle à Dakar (Institut France Tiers-Monde), le cas Djibi
La charge de travail est ambitieuse mais je perçois bien la cohérence du projet global ce qui me permet en évitant toute dispersion d’avancer sans trop de mal. J’ai mon réseau d’assistance pour la réalisation des projets avec le groupe Laurence et X2000.
Au plan familial nous avons avec nous Frédérique puis Fabienne rejointe par Bertrand lorsque Frédérique décidera de nous quitter pour vivre en couple. La présence à nos côtés de Frédérique nous permet de l’aider à développer ses qualités créatives (inscription en école de design, participation à la création d’une œuvre mosaïque…). Pour Fabienne ce sera surtout un itinéraire scolaire qui la conduira à un bac C. Bertrand profitera de notre localisation et grâce à une adresse d’un ami à Paris son admission au lycée Carnot.
L’élection présidentielle française de 1988
Le président sortant, François Mitterrand, brigue un second mandat, se présentant pour la quatrième fois. Durant son septennat, la gauche a réussi à gouverner sur la durée alors qu’elle avait échoué par le passé, notamment du temps du Cartel des gauches et du Front populaire. Son mandat a néanmoins été marqué par le « tournant de la rigueur », avant que la droite ne remporte les élections législatives de 1986.
Le scrutin de 1988 est marqué par le score élevé du candidat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen, qui frôle les 15 % avec un discours anti-immigration, déjà. C’est aussi l’émergence des écologistes avec Antoine Waechter candidat des Verts qui obtient 3,78 % des suffrages exprimés, arrivant derrière André Lajoinie et devant Pierre Juquin . Au global les communistes arrivent à un total de 8,9%, ce qui est pour eux un très mauvais score. Le navire est en perdition sous la direction de Georges Marchais qui restera en place jusqu’en 1997.
Pierre Juquin
Représentant le courant « rénovateur », il entre publiquement en désaccord avec la direction à l’occasion du XXVe congrès du PCF de février 1985. Il propose une orientation nouvelle pour le parti et la gauche : « Le socialisme sera autogestionnaire ou ne sera pas. » Il n’est pas réélu au bureau politique, mais reste membre du comité central et se voit confier la direction de la section de l’action pour la paix et le désarmement.
Il démissionne du Comité central en juin 1987 en déclarant vouloir travailler pour la naissance d’un mouvement capable de rassembler les sympathisants de gauche ne se reconnaissant pas dans le PCF ou dans le PS. Il est finalement exclu du PCF en octobre 1987, après avoir annoncé se présenter comme candidat à l’élection présidentielle de 1988, soutenu par le Parti socialiste unifié, la Ligue communiste révolutionnaire, la Fédération pour la gauche alternative et une minorité des militants de SOS Racisme. Il est alors le porte-drapeau d’un mouvement où cohabitent d’anciens membres du PCF, des trotskistes, des écologistes et des inorganisés.
A Gennevilliers se constitue rapidement un comité de soutien à Pierre Juquin auquel je me rallie par choix politique national et local. Au plan national j’estime que François Mitterrand a trahi son engagement en 1984 en se ralliant au libéralisme de Thatcher – Reagan et à l’austérité. Au plan local je suis dans la mouvance de Lucien Lanternier qui critique la direction du PC et son Secrétaire Général Georges Marchais à qui il reprochait d’être allé de façon consentante travailler en Allemagne durant la deuxième guerre mondiale. Cette position sera définitivement jugée inacceptable pour les dirigeants communistes résistants tel que Lanternier.
Lucien soutient en sous-main la candidature de Juquin. Il refusera d’être à la tribune lors d’un meeting de Lajoinie à Gennevilliers. En conflit depuis 1982 avec la direction fédérale des Hauts-de-Seine il sera après les élections conduit par la direction du PC à démissionner de son poste de maire au profit de Jacques Brunhes.
Changement de style à la mairie
Jacques Brunhes a le profil d’un apparatchik classique d’un PC retranché derrière le “centralisme démocratique” de type léniniste et les liens de subordination à Moscou. C’est la fin de Gennevilliers ville, tournée vers le progrès et prenant en compte le changement en cours avec les NTIC. C’est pour moi un double désaccord qui me pousse à partir. Tout devient figé dans un système de style stalinien. A titre anecdotique je me souviens d’un dossier adressé au cabinet du maire pour une avancée technique qui avait été enterré, près plusieurs semaines je proteste et demande des explications, le cabinet me répond qu’ils ont perdu le dossier. Qu’à cela ne tienne, il suffit que je le réimprime. mais avant perfidement j’avais changé quelques mots qui ne modifiaient pas le sens mais pouvaient me permettre de voir si mon dossier était vraiment perdu. Le maire se prononça sur le premier dossier soi-disant perdu.
En janvier 1988, je décide de quitter mon poste de chef de projet à Gennevilliers suite au changement de maire, le travail avec un communiste aux méthodes staliniennes n’est pas supportable. Le climat à la mairie devient difficile pour moi comme pour quelques autres. Certains rentrerons dans l’ordre tel que le docteur Tyrode, médecin chef du Centre de santé municipal avec lequel j’avais des rapports professionnels et amicaux. De plus le Plan Câble est à l’agonie abandonné par le PS et l’essentiel est fait en matière d’informatique municipale et de télématique. Après une période de foisonnement, on entre dans une période de gestion médiocre avec un modèle que je n’apprécie pas. Il est temps de céder la place. Exclu du Parti Communiste pour avoir soutenu la candidature de Pierre Juquin et sans le soutien du maire Lucien Lanternier, je n’ai pas d’avenir à Gennevilliers. En recherche d’une alternative qui me dispense de revenir aux PTT, Je participe à la création de deux sociétés, Vitcom une SA avec Gilles Vigoureux ancien chef de cabinet dans la même barque que moi et Axone VTI une Sarl avec Alain Cornuet le directeur du centre X2000. Après quelques temps, Gilles prendra en main Vitcom et Alain Cornuet deviendra gérant de Axone. Ni l’un ni l’autre ne m’offrent de perspectives intéressantes, c’est un peu sauve-qui-peut, même si nous conservons de bons rapports..
Ayant quitté la mairie, dans un premier temps, je rejoins la société Courtoisie dont le fondateur est Roger Courtois, futur PDG de Wanadoo qui deviendra Orange. Il m’apprécie beaucoup depuis notre complicité dans le réseau X2000, le travail fait à Gennevilliers et mon déplacement à la Guadeloupe avec l’installation du premier serveur Minitel au port de Pointe à Pitre. Il connaît aussi mes relations avec François du Castel qui a été son mentor pour le lancement de Courtoisie. Ma présence dans sa société et mon esprit d’innovation donneront à Roger Courtois l’occasion de créer la première carte multi-modem qu’il appellera par reconnaissance la carte 4 MARC (4 Modem A Réseau Commuté) dont 10 000 exemplaires seront vendus à la compagnie Bull. Cette carte permettait de créer un serveur Minitel à quatre accès simultanés sur PC sans avoir à empiler quatre boitiers modem, c’était un réel progrès et un gain de place important.
A la mi juillet 88 Laurence et moi décidons de nous lancer dans l’aventure d’une l’entreprise individuelle sur nos propres forces. Nous avons plein d’idées innovantes à exploiter. Nous avons le soutien possible de Roger Courtois pour une mise de fond au capital et nous avons un lieu pour notre siège, notre maison achetée en 1986 à Laroque dans l’Hérault. Une nouvelle aventure de vie nous attend.
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