Retour à La Poste

Je suis hors cadre car absent depuis longtemps ; je doit donc voir mon retour avec la Direction Générale Direction des Ressources Humaines. Après plusieurs rencontres non abouties avec des directeurs que mon profil intéresse, sur les conseils de la secrétaire générale Catherine Singla, je me suis tourné vers la fonction de Chef d’établissement. J’obtiens une prolongation exceptionnelle de ma disponibilité jusqu’au 30 novembre 1996 pour me laisser le temps de trouver un poste. Le premier sera Ferrières en Gâtinais dans le Loiret où je ferai la connaissance de François Bonneau qui deviendra plus tard Président de la région Centre.

Ferrière en Gâtinais (1996-2000)
Manager en établissement s’avère la suite logique de mon parcours. J’ai la chance de trouver rapidement, une directrice peu conventionnelle, Monique Magnier, prête à m’intégrer dans son équipe à Ferrières en Gâtinais près de Montargis . Elle a vu de suite le potentiel que je représentais et compris mon mode de fonctionnement, elle m’a ouvert des perspectives correspondant à mon caractère, indépendance et créativité dans l’action sans contrôle tatillon. Elle n’a pas eu à le regretter, La Poste non plus dans les dix ans qui ont suivi, les résultats ont toujours été au rendez-vous avec des actions originales et valorisantes pour La Poste.

Pendant trois ans à Ferrières, j’ai servi La Poste conformément à la mission de service public et profité de ma position institutionnelle pour des activités sociales et culturelles. Le bureau desservait dix sept communes du canton soit environ 16000 usagers. Le Gâtinais est un ancien comté et une région naturelle française s’étendant sur le territoire des départements du Loiret, de la Seine-et-Marne, de l’Essonne et de l’Yonne, entre la Loire et la Seine. La partie qui me concerne se situe au nord de Montargis. Ferrières en Gâtinais est une petite ville de 3000 habitants en 1999. Ça a été un important centre métallurgique jusqu’à l’épuisement des mines de fer. C’est à l’existence de ces mines de fer que Ferrières doit son nom. L’existence attestée d’une implantation à Ferrières remonte à l’an 44 de l’ère chrétienne. Saint Savinien, saint Potentien et saint Altin, envoyés à Ferrarrium pour prêcher dans les Gaules, du temps de la persécution en sont les premiers personnages historiques connus. L’église Notre-Dame-de-Bethléem, la première chapelle portant ce nom fut construite à cet endroit à leur initiative. Les chrétiens en sûreté dans un lieu à l’écart des villes ne souffrirent d’aucune persécution pendant l’espace de quatre cents ans jusqu’à 451 et la venue des Vendales, un peuple nomade, quittant leur pays sous la conduite d’Attila qui ravagèrent toute l’Allemagne et descendirent en France.

Après son baptême, Clovis 1er roi de France fonda l’Abbaye de Ferrières, l’église St Pierre et St Paul et institua la procession de la Pentecôte en 511. Il vint à Ferrières pour poser la première pierre de ces monuments. Pour expliquer comment , et quelle raison poussa le roi à fonder et faire bâtir une Église St Pierre proche de celle de N.D. de Bethléem, c’est qu’il connu Clothilde sa femme, qui était très pieuse, par l’intermédiaire des religieux. Ce fût Pépin le Bref qui le premier roi tint sa cour à Ferrières. Il y fût sacré roi par Étienne 2 en 754. Un jour que Pépin avait réuni toute sa cour à l’occasion d’une grande fête il descendit dans l’arène au milieu d’un combat d’un taureau et d’un lion et tua le lion d’un coup d’épée, faisant montre de sa force extraordinaire malgré sa petite taille. Voilà pourquoi il est représenté avec un lion sur un des piliers de la grande porte d’entrée de l’église St Pierre.

Je me suis souvenu qu’à l’occasion d’une de mon intervention à un séminaire de formation où il nous était demandé d’organiser un évènement local. j’avais pris comme point d’appui l’existence d’un monument historique pour construire l’évènement. Avec Ferrières je pouvais passer de la théorie à la pratique et je n’allais pas m’en priver. Le contexte historique passionnant de Ferrières m’a conduit à participer aux fêtes médiévales “Les Nocturnes de Ferrières” et à amener La Poste à s’y intéresser. J’ai conçu un scénario autour d’un Office des messages qui s’est intégré dans la programmation générale et j’ai entraîné avec moi toute mon équipe ou presque. Il y a toujours des grincheux voir des haineux comme c’était le cas d’un de mes facteurs, militant cégétiste, hostile à tout ce qui pouvait améliorer la communication et l’art d’être ensemble. Pour moi c’était l’occasion de permettre aux membres du groupe d’aller au delà de leur fonction en se faisant plaisir. Un certain nombre avaient déjà eu des complicités lorsqu’ils étaient jeunes et ont retrouvé avec plaisir cette impulsion nouvelle. Les Nocturnes comme son nom l’indique commençaient à la nuit vers 22h. Avant nous prenions un repas en commun financé par une association créée pour nos activités “Aladin”. Une fois costumés nous allions dans le jardin devant pour jouer nos rôles.

La Poste avait un projet national destiné à valoriser l’écrit sans que ce soit une obligation pour les bureaux, “La Journée de la lettre”. Cette opération m’est apparue très intéressante, en 1997 ce sera sur la base d’un concours pour les écoles sur le thème “écrire aux grand-parents”. Toutes les classes du primaire ont été invitées à participer. Il y avait une forme de petit concours par la classe et par les écoliers. Le jury était constitué d’anciens appartenant au club du 3ème âge. Pour les enfants qui n’avaient pas de grands parents vivants des membres de l’association”l’Age d’or” étaient prévus pour recevoir les lettres. Chaque enfant participant recevait des timbres de collection.

En 1998 le thème sera “soutenir l’équipe de France”. Pour cette seconde édition, plusieurs dizaines de lettres, avec textes et dessins, ont été réunies dans un livret adressé à Zidane avec deux documents vierges à l’entête des écoles pour recueillir les signatures. Zidane a répondu en nous retournant les deux documents signés par tous, entraineur et masseur compris. La remise aux écoles des documents encadrés fut un évènement qui a réuni quelques 200 personnes en présence du directeur départemental de La Poste et du maire de Ferrières,

Les Virades de l’Espoir contre la Mucoviscidose en 1998 dont je serai l’organisateur rassembleront quelque huit cent participants. Lorsque Alain et Bernadette Suter, responsables départementaux et parents de Antoine un enfant atteint de la maladie m’ont contacté pour des Virades à Ferrières je n’ai pas hésité un seule instant car je connaissais cette maladie. Je l’avais déjà rencontrée chez une petite camarade d’école de Frédérique.

Enfin, avec Laurence nous avons créé un club de rollers et elle a mis en plaquette le travail de 25 ans d’activités de l’Entente Sportive du Gâtinais, avec La Poste en partenaire bien sûr. Ce travail nous a valu à chacun une belle médaille nominative en commémoration des 25 ans de l’ESG.

Tout cela en trois ans durant lesquels je me suis donné à fond avec un plaisir extrême en retour, “L’art étourdi de créer” voilà le secret du bonheur et de la réussite.
Sur ma lancée deux voies s’offraient à moi. Je pouvais suivre les conseils de François Bonneau, alors simple Conseiller régional, et renouer avec la politique en visant le poste de Conseiller général de Ferrières aux cantonales de 2001. Je peux aussi chercher une promotion à La Poste et partir ; ce sera mon choix car la politique pour laquelle j’avais une certaine expérience exige trop de compromis. Cela ne correspond pas à mon tempérament profond, un peu artiste et un peu anarchiste. Je vais donc en m’appuyant sur mes succès aller chercher la promotion dont j’ai besoin pour changer de résidence et me rapprocher de ma Touraine natale et aussi de ma belle-mère à qui j’ai pardonné ses mauvais comportements à mon égard lorsque j’étais enfant et adolescent et qui a besoin d’aide et d’assistance . Après avoir réussi mon concours, en août 1999, je suis muté dans un grade supérieur à Montlouis sur Loire, hélas trop tard pour ma belle-mère qui est décédée au début de l’année 1999.

Montlouis sur Loire (2000-2005)
Me voici à Montlouis, petite ville de dix mille habitants dans l’est tourangeau. Outre la gestion du bureau d’une trentaine d’employés, je vais devoir assumer le passage aux 35 heures et la réorganisation qui va avec en 2000, la séparation du courrier d’avec le guichet, la construction d’un nouveau bureau inauguré en juin 2001 et le passage à l’euro en 2002. Le 1er janvier 2002, les billets et les pièces en euros ont été introduits dans douze pays comptant au total 308 millions d’habitants. Il s’agit de la plus vaste opération d’échange monétaire que le monde n’ait jamais connue. Étaient concernés le secteur bancaire, les sociétés de transport de fonds, les commerçants, les sociétés gérant des distributeurs automatiques et, bien évidemment, le grand public. Il s’agissait pour nous de récupérer les francs en billets et pièces et de las reverser à la Banque de France. A ce moment là je gère deux entités séparées géographiquement, le courrier et le guichet.

Je n’ai plus beaucoup de temps pour des activités parallèles mais je ne me désintéresse pas de l’évolution politique. La ville de Montlouis était gérée par un député-maire socialiste dont j’ai fait la connaissance, Jean-Jacques Filleul. C’est un maire dynamique que j’appréciais, c’est pourquoi je vais à nouveau reprendre un peu de service dans la mouvance du PS jusqu’à notre rupture pour cause de désaccord sur le Traité Européen en 2005. Entre temps j’aurais lancé avec Jean-Jaques Filleul à Tours une réflexion sur la laïcité après les attentats du 11 septembre, soutenu la campagne de Jospin pour la présidentielle de 2002 puis la campagne de Filleul pour la législative qui a suivi. Jospin échoue, Filleul échoue et la réflexion sur la laïcité s’enlise. Je m’éloigne du PS définitivement à partir de 2005.

La Poste éclate en deux, courrier d’un côté et guichet et Banque Postale de l’autre. Je choisis le courrier et le projet CQC (Cap Qualité Courrier) d’automatisation et de mécanisation du courrier et des colis. C’est pour la mise en place de ce projet industriel que je me retrouve à Amboise en 2005.

Amboise (2005-2007)

En 2004, La Poste décide d’un vaste plan d’automatisation du courrier de plusieurs milliards dont une centaine de millions pour l’Indre et Loire et le Loir et Cher. Localement, le projet consiste en la mise place d’une plateforme régionale à Sorigny, d’une plateforme colis à Mer et de trois plateformes locales dont celle de Amboise En 2005 je postule pour prendre en charge le centre courrier d’Amboise afin de superviser la délocalisation du service et la création de la nouvelle plateforme courrier. C’est le projet national Cap Qualité Courrier (CQC). Ce projet est pour moi l’occasion de finir en beauté ma carrière avec un retour extraordinaire des choses puisque en 1974 j’étais au CTA qui fut le premier Centre de Tri Automatique en France.

CQC se présente pour moi comme une aventure collective qui vise à conduire une tribu vers un horizon nouveau. J’aime aller quelque part avec d’autres personnes. Le temps d’un projet j’ai du plaisir, je suis utile car j’ai une tribu à guider. Il est rare de pouvoir gagner sa vie en faisant ce qu’on aime, il faut donc trouver le moyen d’aimer ce qui nous permet de gagner notre vie. En fait, je suis un peu nihiliste, il me faut donc des motivations fortes, des défis.

Après avoir supervisé en tant que futur exploitant la construction de cette plateforme de 2300 m2 sortie du sol en 6 mois et dotée d’une machine à trier de nouvelle génération, je suis chargé de déménager le tri et les facteurs soit cinquante personnes, du centre d’Amboise vers le nouveau bâtiment à la Boîtardière en ZAC à six kilomètres du centre ville. L’ensemble de l’opération fut un franc succès, transparence pour les foyers desservis et pas de problèmes sociaux. Pour moi c’était une satisfaction d’avoir réussi cette mutation qui aurait pu se faire avec un autre directeur mais sûrement avec beaucoup plus de douleur pour le personnel compte tenu des injonctions d’une Direction obnubilée par le gain de productivité.
Dans l’opération, j’ai obtenu des primes pour le personnel en compensation du déplacement, primes que les syndicats préoccupés par la plateforme centrale de Sorigny n’avaient même pas songé à demander pour les plateformes annexes. Avant mon départ j’ai monté les dossiers nécessaires à huit promotions méritées pour des agents investis dans le changement alors que la direction nous demandait de réserver ces promotions promises aux syndicats pour aider au prochain projet “facteurs d’avenir”. J’ai obtenu ces promotions car mes collègues dans leur quasi totalité avaient suivi les instructions en ne déposant aucun dossier. Il faut dire que les dossiers étaient suffisamment conséquents pour décourager les plus paresseux.

Mais pour La Poste, comme pour tant d’autres grandes entreprises, ce n’est jamais assez. Alors que je réclamais une pause pour moi et mon personnel, la Direction a voulu que je prenne en charge un nouveau projet d’intégration d’un bureau voisin à Bléré avec “facteurs d’avenir”. Cela gonflait mes effectifs à 80 personnes et modifiait profondément les conditions de travail du personnel. La Poste s’engageait dans un rythme soutenu déjà connu à France Télécom avec son paroxysme en 2009 dans la « crise des suicides » liée à l’application du plan NExT.
Le plan NExT était un plan de redressement de l’entreprise qui visait, entre autres objectifs, au départ en trois ans de 22 000 des 120 000 salariés, dans un contexte d’ouverture à la concurrence. Ce plan introduit un management violent. En 2004, 4 000 employés sont formés durant dix jours afin d’accomplir sur le terrain le plan NExT : la réduction des effectifs est une priorité, de nouvelles techniques de management sont introduites, la méthode est de dégrader les conditions de travail, afin de pousser psychologiquement une partie des employés au départ volontaire. Les managers ont pour objectif d’inciter des salariés à démissionner, d’en muter dans d’autres secteurs de la fonction publique ou de signer des congés de fin de carrière. Des stages apprennent à ces managers des schémas sur les courbes du deuil qui définissent six étapes par lesquelles tout salarié qui se voit annoncer la suppression de son poste, doit passer : l’annonce de la mutation, le refus de comprendre, la résistance, la décompression qui peut aller jusqu’à la dépression, la résignation et l’intégration du salarié (harcèlement qui peut aussi se terminer très mal par des suicides).
A La Poste, comme à France Télécom, la pression s’exerçait d’abord sur les cadres, briques de base de l’opération. suivant le même chemin que France Télécom, La Poste évoluait vers un nouveau statut, une SA.

En désaccord avec cette évolution, je décide d’arrêter et je demande un départ anticipé en retraite. J’ai envie de passer à autre chose par exemple de consacrer plus de temps à Pierre et Léo et les épauler dans leurs études. Même si j’ai bien aimé le projet CQC car il y avait une évolution technique à conduire et un travail social à accomplir je n’ai pas hésité. J’ai demandé une mise en préretraite à partir de fin 2007 et fait valoir mes droits à retraite fin 2008. J’ai eu droit à un mot aimable du Directeur nouvellement arrivé. Peut-être était-il sincère, pour le travail accompli il ne pouvait guère faire autrement, mais aussi, sûrement bien content de ma demande. La suite pourrait se faire avec quelqu’un de plus docile et plus complaisant sur les questions sociales.

Cette fois je quittais La Poste pour de bon. Je lui ai dit adieu sous forme de slam lors de ma dernière réunion de Direction face à tous mes collègues Directeurs de centre.

Transfuge social

Soixante trois ans après la publication de “La Distinction” de Pierre Bourdieu, dans lequel le sociologue pointait pour la première fois le phénomène de reproduction sociale à l’œuvre en France, les récits de transfuges de classe, ces femmes et ces hommes ayant vécu un changement de milieu social au cours de leur vie, ont trouvé leur place en librairie. « D’après l’OCDE, il faut six générations pour qu’un enfant né dans une famille pauvre atteigne le revenu moyen » (Adrien Naselli « Et tes parents, ils font quoi ? »). En tant que transfuge social, je suis assez fier du travail accompli en deux générations pour ce qui concerne ma famille.
Quand je vois mes enfants et petits-enfants être ingénieurs, assistante sociale chargée de cour ou écrire des livres, je me dit que deux générations pour aller de la classe ouvrière à la classe moyenne supérieure c’est plutôt bien si on considère notre généalogie. Mais le plus important n’est pas d’abord la réussite économique elle est avant tout culturelle. Il reste à acquérir les codes des catégories atteintes sans se perdre et sans oublier nos origines.
A quoi est-ce que je dois ma part de ce résultat ? A mes qualités, au regard de mon père ou encore à ma confrontation permanente avec l’injustice. De la cité des Sables au statut de cadre supérieur en passant par l’entreprenariat je suis resté fidèle à la souffrance des miens, ceux d’avant, et à mon regard d’enfant. Je le dois aussi à ma capacité à acquérir et transgresser les normes.

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