L’Université de Paris 8 St Denis (1982-1984)

Le deuxième garçon en toi était celui que j’appréciais, celui qui posait les problèmes, celui qui cherchait, qui discutait, qui avait un désir de culture, un besoin de savoir.” lettre de mon ami Jacques en 1968.

En octobre 1982, après 15 ans de service à La Poste, appuyé par Laurence, je décidais de reprendre les études dont j’avais été frustré et de renforcer ma formation générale par une maîtrise d’Université. Un texte de la fonction publique me permet de prendre une année sabbatique avec 80% de mon traitement pour études, merci Giscard, J’inaugure l’usage de la disposition mise en œuvre pour la première fois en région Centre. Je m’inscris à l’Université de Paris VIII St Denis (ex Vincennes) pour une maîtrise en Science de la Communication, sans bac, sur équivalence, merci Vincennes!
Mon passage par l’université sera un formidable accélérateur de développement personnel. Outre l’apport en connaissances nouvelles, l’Université m’a permis de prendre la mesure de mon niveau d’autodidacte et d’accroître ma confiance en moi. Après mon ascension personnelle dans le monde professionnel avec l’informatique, je gravissais un nouveau degré. Je constatais que j’avais un niveau largement supérieur à ce qui m’était demandé, je n’eus aucun mal à obtenir la maîtrise. Le plus dur fut de la faire valider, l’intendance laissait beaucoup à désirer.
Le large choix d’enseignements proposés fait une place importante aux figures de la philosophie française contemporaine qui ont créé ce département et qui y ont enseigné, de Michel Foucault et François Châtelet à Jacques Rancière et Alain Badiou, en passant par Gilles Deleuze ou Jean-François Lyotard.

Premiers pas d’étudiant
Étudiant, c’est à dire personne engagée dans un cursus d’enseignement supérieur. C’est un retour en arrière jusqu’en 1967 et un grand pas en avant. Ce fut la découverte d’un nouveau monde celui des étudiants et enseignants. A côté de moi, 34 ans et une vie personnelle déjà bien remplie, je découvre des étudiants “classiques”, 20 à 25 ans, français ou étrangers, sans véritable expérience de la vie active. A moi de m’adapter et trouver ce que je suis venu chercher là. La découverte des professeurs d’Université est une révélation qui m’amène de nombreuses questions. Qu’est-ce qu’un intellectuel, un chercheur ? Comment tout cela fonctionne-t-il avec quels rapports à la société ?
Côté enseignants, l’Université de Paris 8 est un curieux regroupement de personnages de tous style et de toutes envergures. Il y a les chercheurs passionnés, les chercheurs fonctionnaires, les chercheurs opportunistes amateurs de voyages, les nostalgiques de Vincennes et les “jean foutre” en quête d’une situation. Les passionnés je les trouverais plutôt chez les informaticiens et les fonctionnaires un peu dans toutes les filières, parsemées de “jean-foutres”.
Le choix des unités de valeur (UV) sera ma première épreuve, comment choisir parmi tant d’offres tentantes sans connaître les enseignants ni la qualité de leurs offres. Je choisis donc à l’instinct en fonction de mes désirs. Il y a les UV au cœur du département, donc obligatoires, et les options. Certaines UV bizarres forcent ma curiosité et m’attire comme “Itinérance” proposée un enseignant nostalgique de Vincennes, D’autres sont d’actualité comme “Construire l’événement”, une analyse des médias portant sur les médias et l’accident de Three Mile Island”. L’accident nucléaire de Three Mile Island qui s’est produit le 28 mars 1979 dans la centrale nucléaire de Three Mile Island a été le premier accident nucléaire. Enfin, en continuité avec mes expériences en radio ou en informatique je retiens, “Modélisation de la communication animale” avec le laboratoire d’informatique et “Réseaux locaux et Vidéocommunication”, offre du Ceriam.

Ma rencontre avec le Ceriam
En France, au début des années 1970, une équipe de chercheurs s’est organisée en SCOP entre Paris et Villeneuvette dans l’Hérault sur les questions des systèmes de l’information et de la communication en créant le Centre d’études et de réalisations informatiques, audiovisuels et multimédia (Ceriam). C’était une des première fois où on entendait parler de “multimédia”. Un des fondateurs de la SCOP était Jean-Claude Quiniou auteur d’ouvrages concernant les NTIC (“Les cerveaux non humains”, “Les ordinateur mythes et réalités”, “La télématique, mythes et réalité”, “Ordinateurs et marxisme”), ainsi que de nombreux articles. Je ferai plus tard la connaissance d’autre membres, Ghislaine Azémard (docteur en sociologie), Gérard Verroust (coauteur des Cerveaux non humains et spécialiste de l’hypertexte) ou encore Jean-Pierre Wojcik qui sera quelque temps maire de Ganges dans l’Hérault.
Jean-Claude intervenait à l’Université de Paris 8, en Sciences de la Communication et de l’Information avec une UV (unité de valeur) “Réseaux locaux et Vidéocommunication” à laquelle j’étais inscrit. Après un cour magistral sur l’histoire des techniques, en référence à l’ouvrage de Bertrand Gille, et quelques conférences, il nous a informé qu’il travaillait par ailleurs sur une mission concernant le développement des réseaux câblés en France dans le cadre du “Plan câble” du gouvernement Mauroy. Ceux qui le voulaient étaient les bienvenus dans son équipe.
Les autres étudiants, peu avertis sur le vie réelle et peu enclins à l’aventure, déclinèrent. Pour moi, c’était la continuité de mon expérience professionnelle, associative et politique ; j’ai saisi la balle au bond avec l’idée de travailler sur des sujets qui prolongeraient mes activités orléanaises de radio et de micro informatique. C’est ainsi que je me suis rapidement retrouvé sur le terrain à Gennevilliers, intégré en tant que membre du Ceriam à un groupe de recherche comprenant mes professeurs de l’Université, Marie Thonon, Claude Baltz, Gérard Dubois et Jean-Marc Lepers.

Mon statut de collaborateur du Ceriam était non rémunéré. Le fait de ne pas être rémunéré n’avait pas d’importance puisque j’avais mon salaire de la Poste. L’important était d’être dans un groupe de recherche à la hauteur de mes espoirs. Pendant les années qui vont suivre je n’aurais aucun regret de mon choix.

Anecdotes de parcours
René Schérer et l’affaire du Coral
Critique de la surveillance omniprésente des enfants et de la négation de leurs désirs, on reproche à René Schérer professeur à L’Université de Paris VIII de faire dans ses écrits l’apologie de la pédophilie, ce qu’il dément. Il est brièvement accusé en 1982 dans l’affaire du Coral, avant d’être mis hors de cause dès la confrontation avec son accusateur et que son accusateur soit condamné pour dénonciation calomnieuse.
Il est cependant soumis à un « lynchage médiatique sans précédent », qui aboutit à frapper d’« ostracisme » son œuvre entière. Le 29 octobre 1982, Jean-Claude Krief, l’accusateur, se rétracte et parle de manipulation politique ; son avocat, Jacques Vergès, déclare que son client a subi des pressions visant à discréditer certains membres du gouvernement. Les enquêtes de police montrent finalement que les personnalités publiques accusées étaient innocentes. Michel Krief, frère de Jean-Claude et auteur d’une partie des diffamations, est retrouvé mort ; l’enquête conclut à un suicide, mais son décès engendre de nouvelles rumeurs. L’année suivante, les auteurs du livre Dossier P… comme police évoquent la possibilité d’un complot monté par certains membres des RG pour déstabiliser Jack Lang.

Engagé dans le groupe de défense du Coral à Orléans de par mes contacts avec le monde psychiatrique d’Orléans, je trouve là une certaine continuité que je tente de rendre visible. Mais l’absence d’engagement de l’Université de Paris VIII ne manquera pas de m’étonner et de me montrer les limites de courage intellectuel. de certaines élites. Pour le professeur Schérer c’est l’effacement de son œuvre. Pour les animateurs du Coral, l’affaire se termine en 1987, par la condamnation de plusieurs d’entre eux. Claude Sigala, directeur du centre, écope d’une peine de trente mois d’emprisonnement avec sursis pour « attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de moins de 15 ans », sans avoir cessé de clamer son innocence.
Guy Hocquenghem a consacré à l’affaire un roman à clef, Les Petits Garçons, dans lequel il met en scène René Schérer sous les traits de « Stratos », « professeur à la carrière brisée », dont on a confondu la réflexion et les écrits sur l’enfance avec des actes délictueux. Dans ce roman, figure une lettre ouverte à un grand intellectuel, sous les traits duquel on reconnaît Michel Foucault, à qui il est reproché de ne pas avoir pris aussitôt fait et cause pour « Stratos » face à la diffamation. Le narrateur y explique que « Stratos » ne défend pas la « sexualité » avec des enfants, mais critique la mise à distance de l’« érotique » présente dans les relations, et la suspicion vis-à-vis de toute proximité entre un adulte et un enfant.
Incident avec la RATP
Plusieurs fois par semaine je faisais le trajet d’Orléans à Saint Denis, train métro et bus. C’est à cette occasion que je me suis retrouvé défenseur d’une étudiante sans titre de transport harcelée par une équipe de contrôleur de la RATP. Après la station Université, le bus est contrôlé dans un style plutôt “cowboy”. L’équipe tombe sur le bus comme une volée d’étourneaux, pressant les voyageurs de présenter leur titre de transport. Une jeune fille n’en a pas et déclare ne pas avoir d’argent pour payer l’amende. “Vos papiers”, “Vous venez d’où”, un des contrôleur probablement le chef se montre particulièrement agressif allant jusqu’à reprocher à la jeune fille Sud Africaine l’apartheid dans son pays. Elle pleure, il insiste,j’interviens. Je propose à haute voix à la jeune fille de payer l’amende pour ne plus entendre le contrôleur. Elle commence par refuser puis accepte, elle est quitte. Pas moi à qui le contrôleur demande ma carte d’identité, il prétend en avoir le droit mais ce n’est pas dans le règlement affiché. “On boucle le bus et on va au commissariat”, “d’accord” mais arrivé à la station de métro, Porte de Paris le voilà qui prétend m’emmener dans ses bureaux, n’ayant pas envie de me faire tabasser où je ne sais quoi, je demande aux voyageurs de venir avec moi. Presque tous se défile sauf deux étudiants qui accepte. Le big chef voit son plan avorté et me lance: “Vous êtes probablement un de ces emmerdeurs, journaliste ou avocat, foutez le camp”. Je n’en demande pas plus. J’ai raté mon train à Austerlitz mais je suis content de moi.
L’association ADNT

Revenir aux “PTT” ou poursuivre l’aventure
A la fin de mon année sabbatique, en octobre 1983, il me fallait reprendre mes fonctions à la la Poste. je me suis mis à la recherche d’un poste intéressant en tant que fonctionnaire détaché. En fonction de mes contacts je me suis tourner vers le Parc de La Villette en cours de mise en place et vers le Service d’études communes de La Poste et de France Télécom (SEPT) un Groupement d’intérêt économique créé en septembre 1983 à Caen entre La Poste et France Télécom. Les études menées au SEPT portaient sur les cartes à mémoire, la sécurité, le courrier électronique (télécopie, formats de documents, échanges électroniques de documents, annuaires électroniques, e-mail). C’était tentant mais j’ai renoncé à aller à Caen comme nombre de “turbo-profs”. Le projet Parc quand à lui n’avançait pas. Le SEPT nait de la volonté de Louis Mexandeau maire de Caen et ministre des PTT ne prendra pas, il a été dissous en 1996, et les activités ont été reprises par le Centre national d’études des télécommunications (CNET) de France Télécom devenu Orange Labs.

Après ces quelques recherches, j’ai intégré d’office la D.P.I. de La Poste (Direction de la Prospective et des Affaires Internationales). Je pensais participer au montage des dossiers de mise en place de la micro-informatique, mais le travail à la DPI est rapidement apparu sans intérêt, il consistait surtout à valider des marchés, déjà actés, d’achat d’ordinateurs. Je me suis retourné vers le Ceriam pour rependre mon travail à dans le cadre du Plan Câble en cherchant à être détaché au Ceriam via le CNET. Mon détachement devait se régler entre François du Castel directeur du CNET et Alain Profit directeur de la DPI. Tous les deux étaient ingénieurs X Télécoms, ils se connaissaient bien mais le détachement d’une unité de travail ne va pas de soi et les deux directeurs étaient dans une partie de “je te donne, tu me donnes”. Comme ça n’avançait pas beaucoup j’ai décidé de forcer le destin et le 1er janvier 1984 j’ai quitté mon poste pour me consacrer entièrement à mon travail au Ceriam. Mon raisonnement était le suivant, au bout d’une semaine on me rappelait et j’étais sermonné ou bien on m’oubliait et après plusieurs semaines il devenait difficile de me faire revenir et de me sanctionner. Suite à une demande de La Poste, François du Castel me couvrira en juillet 84 jusqu’à la fin de l’année par une lettre confirmant mon travail d’étude pour une préfiguration de la vidéocommunication pour le CNET depuis janvier 84. La situation s’est réglée fin 1984 par mon recrutement à la mairie de Gennevilliers, Face à tous ce qu’il y avait à faire en matière de NTIC dans le cadre du plan câble et pour la commune, la mairie s’est avisée du besoin d’un chef de projet.
C’est ainsi que j’ai été détaché de La Poste à la mairie de Gennevilliers en janvier 85.

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