Le départ du dernier fils

Vagabondage,
L’homme est assis dans la cuisine, les premiers rayons du soleil arrivent par la fenêtre à l’est et réchauffe la pièce. Il a le regard perdu dans le vague vers cet endroit de l’âme que nul autre ne peut atteindre. Il attend le lever de sa femme et de son fils, de ce fils qui va partir cet après-midi. Il sort de sa torpeur pour se demander un instant si rien ne manque dans cet ilot de sacs et de valises posés à côté du placard. Encore une question inutile se dit-il. Son garçon lui a déjà assuré que tout est bien organisé. Pourtant son habitude de père, responsable de toute chose prend à nouveau le dessus. Il remarque un peu de buée au bas de la fenêtre au dessus des sacs, c’est le signe de l’été qui finit. Cette remarque le ramène vers sa réflexion première sur le temps qui passe et sur le chemin qui se dessine en même temps. Il a déjà connu ce genre de moment quand s’entrouvre une porte sur l’avenir et quand se clôt un épisode de vie. Ce moment est fait d’un mélange de joie et de crainte, d’espoir et de nostalgie, mais cette fois c’est plus que cela, c’est le dernier des enfants qui part, le signe d’un temps révolu, celui de la paternité. Bien sûr nos “enfants” restent “nos enfants”, mais ce ne sont plus des enfants. On ne sera plus partie prenante des décisions qui de se prendront loin de soi dans des raisonnements où on n’aura qu’un rôle mineur.
Il est temps de cesser de s’apitoyer, ce n’est pas ce que tu veux ni ce qui est bien pour ce jour. Ce que tu veux, c’est être encore un moment avec ton enfant, lui dire combien tu l’aime et combien tu es fier de lui, de ce qu’il es devenu, mais comme d’habitude tu ne saura que poser des questions stupides d’organisation. A quelle heure est ton train? As-tu pensé à prendre tout ce qu’il te faut? Quand reviens-tu? Des questions matérielles, encore et encore pour se rassurer. Rien ne doit être oublié. mais quoi, toutes ces choses masquent l’important. Dis lui combien tu l’aime. Dis lui que tu es fier de lui. Dis lui merci pour toute la joie qu’il t’a donné, merci d’exister et d’être cette autre personne qui te résiste, qui s’affirme et dont tu éprouve la volonté à chaque confrontation, merci de t’avoir rendu fier de ses talents et de ses victoires, merci de t’avoir permis d’être utile quand il avait besoin de soutien, merci d’avoir été cet enfant sensible et brillant qui ne t’ a jamais déçu. Souviens toi! toi qui rêvait d’être ingénieur ou avocat jusqu’à ce que ta vie prenne un autre cours. Bientôt celui-là sera ingénieur, prépare toi au spectacle d’une vie nouvelle qui n’est pas la tienne mais qui ne t’es pas étrangère. En regardant ce fils qui s’apprête à te quitter, soit rassuré.

Allons quelqu’un descend l’escalier, il est temps de s’activer et de préparer le petit déjeuner qu’on partagera tous les trois comme à l’ordinaire.

J’aurai pu écrire cela pour chacun de mes enfants mais l’âge et les circonstances ne permettent pas toujours d’exprimer comme il faut ses sentiments. Comme a dit je ne sais plus qui “c’est seulement maintenant que tu comprends”.

La Chevrie petit matin du 5 septembre 2015 :